Les enquêtes du commissaire Perlicchi (défis réunis)
Les enquêtes du commissaire Perlicchi
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Premiers pas vers la liberté
Assise sur un fauteuil d’un bureau impersonnel, Caroline frissonnait d’angoisse ; l’idée de parler d’évènements inavoués jusqu’à ce jour, était encore plus insupportable depuis qu’elle se trouvait face au commissaire avec cette barbe lui mangeant la moitié du visage. De plus, l’attente interminable avec usé ses dernières volontés. Aurait-elle le courage d’attaquer cette association sectaire qui avilissait l’être avec sa rigueur dogmatique, son refus d’envisager la remise en question de ses fondements, et surtout le manque de liberté ? Pourrait-elle revivre tous ces souvenirs atroces ?
Depuis longtemps Caroline avait quitté le cocon protecteur familial pour suivre « l’idole » de son cœur. Elle en avait perdu sa chemise et ses illusions. La voilure de sa barque était trouée avec impossibilité de la repriser. Elle s’était embarquée dans un « zinc » sans aile et sans sortie de secours ou rien de personnel n’était permis, et pourtant… elle était là… En fuite certes.. Mais encore vivante…. Pour combien de temps ?
La poursuite infernale allait-elle continuer ? Elle n’en pouvait plus. Son foie commençait sérieusement à la titiller, il était devenu très fragile avec le régime cyanure des dernières années.
Un inspecteur frappa à la porte, entra et avertit le commissaire Perlicchi qu’une journaliste du « Républicain Lorrain » demandait à le voir. Que voulait-elle ? L’autorisation d’écrire un article sur la vie de Caroline. Comment était-elle au courant ? Qu’elle aille dans le premier bureau, il devait tirer cela au clair car maintenant que la machine était en route, il ne fallait pas d’accroc dans la procédure ni de bavure. Il avait horreur que des journalistes entravent ses enquêtes, il allait donc bien vite l’envoyer se bronzer sous les palétuviers.
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Premiers aveux
Patricia Weber, issu d’un milieu huppé n’admettait pas d’être évincée si facilement. Dans l’univers du journalisme elle était aussi connue que ses parents dans le monde de la haute bourgeoisie. Son mariage avec un roturier, avait sérieusement enquiquiné son père et avait fait scandale en son temps. Pour l’instant, sa patience était à saturation. De toute évidence le commissaire Perlicchi ne voulait pas lui permettre d’interviewer Caroline. Peu importe, elle avait une grande collection d’arguments pour y parvenir. Où avait-elle entendu parler du cas de Caroline ? Tout simplement à l’hôpital Notre-Dame de Bon Secours par une infirmière un peu trop bavarde. Tonio Perlicchi n’admettait pas ces intrusions dans la vie privée. Il lui demanda donc de s’en aller et pour le bien de l’enquête de ne rien écrire pour l’instant. Il l’appellerait la première dès que les Médias devraient être mis au courant.
Il retourna dans son bureau où Caroline l’attendait. Elle narra son arrivée dans la communauté du « Prisme de la Vérité » avec son futur mari. Elle était un peu réticente à le suivre dans cette nouveauté qui l’angoissait un peu, mais après plusieurs séances et réunions diverses, elle se rassurait… Quelle erreur!
En quoi consistaient ces séances ? Il s’agissait, soit disant, d’un plan pour son évolution, une retraite faisant abstraction de la portière ouvrant vers les réalités terrestres et matérielles, mieux vivre, dans l’attente d’un destin fabuleux. Tous siégeaient en cercle autour du narrateur dans une ambiance feutrée, au début du moins. De quoi se tordre de rire maintenant!
Le grand Maître finassait dans la démesure, il se donnait le titre ronflant de Supervisor. Caroline avouait être alors subjuguée par ce mollusque géant, époustouflant comme laveur de cerveau, que personne n’osait chicaner. Sa parole telle une flammèche embrasait et aveuglait toute une assemblée d’adeptes en tuniques blanches pour les parrains et bleues pour les nouveaux, dans une espèce de toile rugueuse dont le souvenir, aujourd’hui, lui donnait la nausée tout comme les rituels... Elle ne pouvait continuer….
3
La cérémonie
Lors des premières séances d’apprentissage de la connaissance en sept périodes, échelons auxquels elle n’avait rien compris, Caroline s’abandonnait au bien-être procuré par la pénombre de la salle simplement éclairée par des bougies et la voix du maître de conférence. Thomas, son fiancé, faisait office d’anti-choc et l’encourageait quand il la sentait indécise et suspicieuse.
Lentement, tel un escargot, elle suivait le chemin indiqué, les règles, emmagasinait les informations et les transportait dans sa coquille pour ne surtout pas les oublier. Sa vie était ficelée, son cerveau cadenassé, tout était bien ventilé dans son cerveau endoctriné, elle ne s’apercevait pas du côté vitreux des séances. Il faut dire que Thomas était là au moindre doute, au plus petit coup de blues surtout qu’à ce moment là elle n’était qu’adepte externe et ne vivait pas encore dans la communauté.
Le commissaire Perlicchi écoutait cette confession en se disant : Bigre ! Son fiancé l’avait bien roulée dans la farine !
Caroline s’exprimait lentement car les souvenirs cognaient dans sa tête en de multiples détonations. La rancune surgissait dans son cœur meurtri.
Elle en vint au moment du mariage. Thomas insistait tellement pour le célébrer au sein de l’Ordre du « Prisme de la Vérité » qu’elle se laissa convaincre. Elle avait encore les œillères de l’amour. Elle fut cependant frustrée d’apprendre qu’elle ne porterait pas la jolie robe dont elle rêvait pour un jour si important. De plus, elle apprit aussi que leur domicile serait également sur place.
Dès son arrivée avec Thomas, ils furent séparés. Caroline fut invitée à suivre une adepte qui la conduisit dans une pièce aveugle ayant pour seul mobilier un lit et une table. Elle paniquait et la femme lui tendit un verre de jus d’orange pour l’apaiser en lui expliquant calmement qu’elle viendrait la chercher et la préparer pour la cérémonie.
Plus tard, dans une semi léthargie, Caroline sentait qu’on la déshabillait et qu’on la plongeait dans un bain tiède aux fragrances d’épices qu’elle ne parvenait pas à définir mais elle se sentait bien et surtout très calme avec en fond musical de la musique zouk, ou autre chose… elle ne savait plus…. Les massages la détendaient. Qui en étaient les auteurs ? Ils devaient être plusieurs étant donné le nombre de mains qui frôlaient son corps… Elle ne le sut jamais. Toute peur s’était évanouie comme par enchantement ou… drogue quelconque… Puis ce fut le silence complet. Elle reprenait conscience de son environnement : un jardin, une tonnelle, des adeptes et le Supervisor. Vêtue d’une tunique blanche très fine, elle se mit à rougir car l’on apercevait ses tétons en transparence d’autant plus qu’elle frissonnait sous cet érable qui détonnait dans le paysage lorrain.
Caroline se senti très mal à l’aise à ce moment du récit. Le souvenir de sa nuit de noce était difficile à raconter, une nuitée dans un palace qui n’avait rien d’enchanteur…. Le commissaire proposa de s’arrêter pour la journée.
4
La suite de la cérémonie
Après la nuit passée à l’hôtel sous surveillance policière, Caroline continua son récit : une nouvelle partie glauque de sa vie en plein marasme.
Le discours thuriféraire du Supervisor concernait les devoirs d’une bonne épouse, un speech qui aurait pu être sérieusement raccourci car barbant : mais non… le Maître continuait sur sa lancée et les adeptes buvaient ses fourbes paroles. (Ce dont elle n’avait pris conscience que plus tard).
Le commissaire Perlicchi demanda si un officier ministériel avait célébré l’union. Non, le Supervisor se disait maître en tout avec une prétention effarante ! Dès le « oui » prononcé par les mariés, ils se rendirent tous dans un château en pleine cambrousse, un coin perdu sans aucune habitation environnante. La « Salle des Evènements » était d’une couleur blanche étourdissante. La pauvreté du mobilier basique tranchait avec les boiseries dorées des couloirs.
Le buffet de mariage, totalement différent d’un repas traditionnel de fête était composé de fruits, de céréales, de légumes uniquement cultivés et récoltés par les adeptes. Pas de viande ni poisson…. Tout était soit disant calculé pour accroître la vitalité du corps et de l’esprit. Une boisson collective fut offerte à tous sauf aux nouveaux époux. Ceux-ci échangèrent leurs ciboires emplis d’un breuvage pétillant en faisant vœu de fidélité.
Une heure plus tard, certains adeptes, tout de blanc vêtus, quittèrent la salle pour préparer la chambre nuptiale. Le Supervisor demanda aux mariés de le suivre dans cette chambre. Voyant l’inquiétude dans les yeux de Caroline, Thomas lui murmura pour la rassurer : Mon amour, rassures-toi, nous allons avoir l’occasion de vivre quelque chose d’exceptionnel cette nuit.
Soudain le corps de caroline fut secoué comme dans un palanquin, les soubresauts étaient incontrôlables et sa voix se mit à trembler…. Le commissaire lui tendit un verre d’eau. Les souvenirs semblaient terribles et les dégâts certainement irréparables selon le rapport du médecin et de l’infirmière-chef de l’hôpital où elle fut transportée après son évasion. Voulait-elle arrêter ? Non…. Elle devait aller jusqu’au bout…
Elle n’eut pas vraiment le temps d’admirer la suite nuptiale car son regard soudain se brouillait. Elle ne voyait que des ombres blanches autour d’elle. Elle appela Thomas qui lui répondit aussitôt mais il semblait si loin ! Elle sentit qu’on la transportait sur un lit, puis… l’horreur ! Une douleur atroce dans le bas ventre puis… le néant.
Savait-elle ce qui s’était passé ? Oui… Mais bien plus tard. Et Thomas ? Il était près d’elle à la levée du jour. Elle tenta d’avoir une explication mais il l’embrassa en lui murmurant « Chut ma chérie, tout s’est bien passé et dans la fraternité universelle… Tu es une femme à présent… »
Caroline se mit à pleurer, instinctivement elle se tenait le ventre. Aldo Perlicchi estima qu’elle pouvait s’interrompre si elle le désirait…. Elle le remercia….
5
La vie en communauté.
Caroline tentait de mettre de l’ordre dans ses pensées. Après cette nuit de noces sans poésie, sans alchimie amoureuse, dont elle ne se souvenait que de peu de choses, elle cherchait à savoir le pourquoi du comment. Evidemment personne ne voulait la renseigner, elle voyait une sorte de crainte dans les yeux des femmes à qui elle posait des questions. Thomas lui conseilla, pour sa sécurité et son bien, de ne pas parler de choses intimes avec les « Sœurs ». Intime ! Mais rien n’était intime ! Elle se souvenait vaguement de personnes en blouses blanches autour d’elle et de la douleur ressentie. De plus il n’y avait aucune amélioration dans leur relation personnelle. Pourquoi une telle indifférence ? Pourquoi ne la touchait-il pas ? Qu’elle était la raison de son indifférence ?
- ma chérie, la loi de l’Ordre veut que nous soyons chastes pendant six semaines…
- Chastes, nous devons rester chastes ! Tu as vraiment le don de me faire rire ! Quelle ironie après ce que j’ai subi !
- Tu comprendras plus tard…Fais-moi confiance.
Caroline sentait bien que cette « société » bigarrée comportait des éléments disparates, étranges, mais amoureuse de son mari, elle était encore malléable aux conventions du « Prisme de la Vérité ». Il faut dire que Thomas jouait à merveilles avec ses émotions. Cependant elle réalisait que, comme cendrillon sortant de son carrosse après minuit, il s’était transformé, non pas en citrouille, mais en cellule de prison.
Tous les matins elle se levait à six heures pour arroser ses plantations diverses, avant le lever du soleil puis elle se rendait au lavoir car les machines à laver n’existaient pas dans la communauté. De plus elle avait dû abandonner ses affaires personnelles pour revêtir la robe conforme attribuée aux femmes, une longue tunique en tissu grossier qui de temps en temps lui procurait des démangeaisons sous les bras et sur la poitrine car les soutiens-gorge n’étaient pas de mise non plus. La nourriture macrobiotique ne lui convenait pas et après un mois, elle se sentit mal. Plus le temps passait, plus elle déchantait.
Le commissaire Perlicchi comprenait mal pourquoi elle n’avait pas pris ses jambes à son cou aux premières lueurs de lucidité. Caroline ne répondit pas tout de suite, puis… Parce qu’elle venait de s’apercevoir qu’elle… attendait un enfant… Un seul rapport dont elle ne se souvenait qu’avec horreur, son mari avait une calculatrice dans la tête ! C’est vrai qu’il lui avait demandé de multiples détails avant de se marier… Et où était cet enfant ? Elle ne répondit pas… Les larmes coulaient sur son visage mais elle continua son récit :
Thomas fut transporté de joie à cette nouvelle ! Leur nuit de noces avait été prolifique ! Quel histrion son époux! (Elle repensait à lui et se dit qu’il était vraiment grotesque… Un peu fou ce romain !) Néanmoins sa bonne humeur contamina Caroline qui oublia tout ce qui ne concernait pas cette future naissance. Les convenances en pareil cas étaient que Caroline prenne soin d’elle et du futur bébé et ne fasse plus les travaux lourds comme la lessive au lavoir. Les autres sœurs les feraient pour elle. Etre enceinte n’était pas une maladie !
- Chut caroline, le mot enceinte est interdit ici… Tu portes un bébé… Et j’espère que ce sera un garçon…
- Et si c’était une fille ?
- Il faudra recommencer jusqu’à la naissance d’un garçon…
Caroline allait de surprise en surprise… Ce qui l’énervait le plus c’étaient les mots « sœur » et « frère » et surtout: « Sœur Uriel » dont on l’affublait ! Elle avait l’impression d’avoir perdu son identité. Là encore le champion Thomas intervint pour la rassurer.
- Sois raisonnable, c’est une facilité pour nous tous qui avons quitté le monde matériel et utopiste d’antan, nous devons faire abstraction de cette vie passée pour nous concentrer sur celle que nous avons aujourd’hui. Il n’y a pas d’alternance possible. N’es-tu pas heureuse avec moi, avec ce futur bébé ? je t’aime, ne l’oublie jamais, nous sommes liés pour l’éternité…
Cette phrase aujourd’hui, dans ce commissariat, sonnait macabre… Même le commissaire en avait des frissons et les poils qui se dressaient sur les bras ! Toujours la même antienne dans ce genre de cas. Un leitmotiv énervant, stressant, car la police se sentait impuissante face aux lois qui régissaient ce genre de fondation sectaire. Ce Supervisor se prenait pour un sphinx en terrorisant tous les membres de sa communauté avec une telle subtilité qu’aucun ne s’en apercevait vraiment. Il devait tomber et l’aide de Caroline était précieuse. Pourvu qu’elle ait le courage d’aller au bout de son action !
6
Endoctrinement
Après ce mariage plus en larmes qu’en joie, l’atmosphère au sein de la communauté était étouffante mais la vie reprenait son cours. Le cheminement de l’enseignement se faisait astucieusement avec une listede cosmogonies à respecter selon l’usage de l’Ordre. Interdit de manifester le moindre doute, la moindre phrase négative, les « instructeurs » veillaient au grain ! Une ribambelle de consignes à respecter surtout au niveau du costume, une vraie tenue de carnaval !
Une succession d’adeptes de plus en plus nombreux, défilaient comme des fantômes dans un jardin loin d’être l’Eden !
Les cours du matin duraient une heure où chacun était reconditionné pour ne pas se laisser abattre par la difficulté et surtout pour ne pas avoir le temps de reprendre ses esprits. Admirable endoctrinement ! Le pire de tout : les acclamations des adeptes à chaque discours ! Caroline en faisait alors partie ! Thomas lui expliquait, à sa façon, ce qu’elle ne comprenait pas ou ne voulait pas admettre. Sa force de persuasion était immense. Il parvenait à la mettre dans un état de vulnérabilité qui la tenait en laisse.
Elle ne comprenait rien à l’attelage de l’Esther chimique, vital, lumière ou réflecteur, tout s’embrouillait dans sa tête mais toujours Thomas l’assistait et elle se disait que si lui comprenait c’était l’essentiel. Sa vie ne paraissait pas trop difficile, du moins tant qu’elle portait un enfant.
Elle s’habituait à la nourriture bien qu’elle se sentait faible par moment. Un jour cependant elle demanda à « Sœur Elia », la personne avec laquelle elle s’était liée, dans quelle maternité elle allait accoucher. Les yeux de sœur Elia s’agrandirent par la surprise ! Elle ne savait donc pas ! Mais savoir quoi ? Elle avait vraiment piqué sa curiosité ! Elle ne pouvait parler sinon elle serait punie… Mais elle avait cinq enfants elle pouvait donc lui donner ce renseignement ! Cela faisait partie des interdictions, du moins pour le premier enfant si c’était un garçon, sinon… Sinon quoi ?
Le bleuté du ciel devenait soudain gris, et la peur se manifestait. Thomas vint une nouvelle fois à la rescousse. Sœur Elia avait eu un accouchement difficile et perdu un enfant, elle était donc pessimiste. Il ne fallait pas l’écouter. Le mieux pour elle était de chasser toutes ces pensées de son cerveau, de garder en elle cette chaleur individuelle qui rendait tout positif. Lors de la cérémonie de l’accouchement il serait près d’elle. Cérémonie ? Juste un mot propre à l’Ordre…. Il avait réussi à chasser ses appréhensions.
Caroline apprit plus tard que Sœur Elia s’était retrouvée en quarantaine dans le pavillon des ancolies. Il portait ce nom en raison des fleurs peintes sur une des façades.
Le commissaire Perlicchi comprenait de plus en plus le fonctionnement de la secte. Ceux qui s’y trouvaient étaient coupés du monde réel, endoctrinés jour après jour. Rien à voir avec un manque d’intelligence mais une influençabilité énorme quel que soit le niveau de vie et surtout un affaiblissement tant moral que physique. La suite risquait de ne pas embaumer la rose mais de piquer comme le chardon !
7
L’accouchement
Tandis que deux inspecteurs ramenaient Caroline à l’hôtel, à la sortie de la voiture elle se figea, arrêta de respirer, en apnée, incapable de parler et de faire un mouvement. Elle n’était pas bouche bée d’admiration mais de frayeur. En suivant son regard, un des inspecteurs appela immédiatement le commissaire Perlicchi. ILS l’avaient retrouvée ! S’agissait-il vraiment d’adeptes de la secte ? Oui la longue cape blanche ne laissait aucun doute. Caroline perdit connaissance et s’affala sur le pavé.
Après un circuit de reconnaissance et maintes vérifications de l’entourage, il fut décidé que Caroline emménagerait chez une collègue où elle serait sous surveillance constante. Avec beaucoup de discrétion, elle serait interrogée sur place et enregistrée par le commissaire. Ce dernier craignait que cet incident pouvait être susceptible de la bloquer dans sa narration alors il mit tout en œuvre pour la rassurer.
Caroline fixait ses chaussures en continuant son histoire. Elle n’était pas à l’aise car parler de l’accouchement pouvait ressembler à un canular et pourtant…
Aux premières lueurs de l’aube, d’atroces douleurs dans le ventre la réveillèrent. Au lieu de s’occuper d’elle, Thomas la laissa seule, elle ne pourrait jamais lui pardonner cet abandon. Des femmes vinrent la rejoindre et l’aidèrent à marcher jusque dans une grande salle blanche et l’allongèrent sur une table au revêtement matelassé. Elle appelait Thomas. Une femme lui dit d’être raisonnable, les hommes n’avaient pas le droit d’être présents à l’accouchement… Thomas n’avait fait que lui mentir depuis le début… Les douleurs devenaient de plus en plus rapprochées. Caroline demanda quand le médecin allait arriver et lui faire une péridurale…. L’atmosphère devint aussi froide qu’une banquise ! Dans la communauté les femmes donnaient naissance à leur enfant de façon naturelle et avec l’aide de Dieu et… Et de qui ?
« De moi » dit soudain la voix caverneuse du Supervisor. « Tu ne crains rien Sœur Uriel, je suis également médecin… Je ne suis pas passé par le circuit habituel mais je suis médecin par la volonté de Dieu… » Caroline voulait qu’on la transporte dans un hôpital ! La colère se mit à scintiller dans le regard du Maître. Comment osait-elle discuter ses ordres ? Mais le moment n’était pas à la colère. Il se tourna vers l’une des femmes, lui donna des ordres que Caroline n’écoutait plus. La douleur était intense et tout ce qu’elle entendait c’était « Maintenant vas--y, pousses très fort ! ». Puis la délivrance et le cri d’un bébé… son petit garçon… Elle voulut le voir mais il fut immédiatement nettoyé et posé dans un panier capitonné de tissu satiné blanc…. Elle devait se reposer maintenant… Le Maître allait prendre soin de son fils… Ce dernier regardait l’enfant comme le trophée d’un tournoi vainqueur… Un fils, il avait un autre fils…
Le commissaire s’étonna de cette dernière phrase… L’enfant de Caroline était donc vivant ! Elle fondit en larmes…
8
L’affreuse vérité
Oui le fils de caroline était vivant. Il était aujourd’hui âgé de dix ans. Où était-il ? Elle hésita un moment, puis : « Il est toujours dans cette maudite communauté ». Etre libre sans lui la minait depuis son évasion. La pensée de ce qui s’était passé la faisait frémir d’horreur…. Il y a trois ans, elle avait presque réussi à sortir de la secte sans se faire remarquer quand son fils Mickael s’était mis à hurler, à se débattre et lui avait échappé ! Il ne voulait pas quitter sa « maison » ni son père. Quel père ? Là était toute l’histoire.
Le commissaire Perlicchi apporta un verre d’eau à Caroline, ce simple geste la mit en confiance et lui donna le courage de continuer son récit. Quel drame allait-elle encore évoquer ?
Après l’accouchement, Thomas se présenta pour la féliciter d’avoir eu un garçon. Ces effusions à retardement la mirent en colère ! Le dernier souvenir qu’elle avait de lui était la fuite ! Où était son fils ? Elle ne l’avait pas revu depuis la naissance plusieurs heures plus tôt. Il tenta de la calmer en lui affirmant qu’ils allaient se rendre à la pouponnière dès qu’elle serait en mesure de marcher. Les mamans avaient le droit de visiter la pouponnière et la maison des enfants du Supervisor. Mais ce n’était pas le fils du Maître mais celui de Thomas, pourquoi ne pouvaient-ils l’avoir avec eux ? Thomas semblait nerveux par les questions de sa femme. Une « sœur » lui tapota l’épaule et lui dit :
« Il faut l’affranchir à présent, lui faire entendre raison, lui expliquer notre vieille coutume de la descendance pour la survie de notre Ordre… »
Le commissaire commençait à entrevoir la vérité. Il avait beau être habitué aux récits d’horreur mais là cela dépassait tout ! Caroline avait la gorge serrée. Le commissaire lui prit la main. Lentement l’angoisse s’amenuisait.
Thomas lâcha donc le morceau : Mickael est bien le fils du Supervisor et non le sien… Caroline repensa à sa nuit de noce, la douleur ressentie ! Le Maître l’avait violée ! Non hurla Thomas ! Mais alors comment était-ce possible ? L’explication fut épouvantable. « J’ai choisi la date de notre mariage en fonction de ta fertilité… Puis tu as subi une insémination artificielle avec le sperme du Supervisor… Pour être sûr que cet enfant soit de lui, nous n’avons pas eu de rapport jusqu’à ce que tu sois enceinte… Maintenant nous pouvons avoir d’autres enfants puisque le premier est un garçon…».
Comment avait-il pu se prêter à cette horreur ? Vu sa position dans l’Ordre n’avait-il pas le loisir de donner son avis ? D’autres enfants ! Jamais elle n’aurait d’autres enfants ! Thomas ne put continuer car la « Sœur cuisinière » apportait le repas pour que Caroline reprenne des forces. La jeune femme jeta le plateau à terre… Elle ne voulait pas manger mais voir son fils, elle n’en avait que faire des miasmes de ces lois stupides de l’Ordre. Thomas assistait impuissant à la colère incontrôlée de sa femme
L’attitude de Caroline, du moins de « Sœur Uriel », fut rapportée au Supervisor qui convoqua aussitôt Thomas. Il lui fallait absolument calmer son épouse pour ne pas provoquer de panique dans la communauté. Le Maître allait le désigner pour le prochain degré de l’Ordre à la condition qu’il ait toujours l’ascendant sur son épouse et qu’elle se conforme aux critères du Prisme de la Vérité. S’il n’y parvenait pas, des mesures seraient prises pour la remettre dans le « droit » chemin. Une initiation plus condensée serait alors prévue… Il ne devait pas rester acteur mais participer à l’évolution de l’Ordre.
Le commissaire avait imaginé un scénario mais cela dépassait l’entendement. Heureusement que Caroline s’était échappée de cette prison ! Mais elle y était restée plus de dix ans ! Que s’était-il donc passé pour qu’elle ne parte pas plus tôt ?
9
Reconditionnement
Caroline savait que le commissaire ne comprenait pas pourquoi elle était restée si longtemps dans un endroit aussi détestable.
Elle expliqua alors que son mari avait réussi à la persuader que si elle restait calme et sereine elle pourrait s’occuper de son enfant car le Supervisor n’admettait auprès des enfants que les femmes qui croyaient en ses préceptes.
Elle fut donc priée de se rendre aux réunions pour progresser dans la connaissance de soi, pour que l’enseignement de son enfant suive une courbe ascendante vers la perfection. Ces séances avaient lieu dans une immense pièce en rotonde où toutes les mères des garçons du Maître étaient réunies. Caroline ricanait sous cape, sous le couvert d’accepter les conditions, elle allait projeter un plan pour s’évader. Hélas ce ne fut pas aussi simple qu’elle l’imaginait. Auparavant il lui fallait obtenir la confiance totale de son mari, donner le change auprès des « frères et sœurs » et surtout ne pas s’opposer aux « affaires » du Supervisor ! Allait-elle longtemps pouvoir supporter toutes les contraintes sans faire remonter ses sentiments à la surface ? Serait-elle assez douée pour jouer la comédie ?
Un jour, arrivant un peu en retard à une séance, Cachée derrière un gros chêne, elle fut témoin d’une scène qui l’horrifia. Une des mamans avec qui elle s’était liée d’amitié était traînée par deux sbires au sortir de la « maison des punitions ». La jeune femme était toute dépenaillée, les yeux hagards et d’une maigreur incroyable ! Voilà pourquoi elle ne l’avait pas revue depuis une quinzaine de jours et personne n’avait osé lui dire où elle se trouvait. La malheureuse hoquetait qu’elle avait compris la leçon et les suppliait de lui donner à boire. Insensibles à sa prière les deux maîtres de la sécurité l’entraînèrent au fond du parc, la partie uniquement autorisée pour les adeptes du dernier degré.
Le commissaire écoutait attentivement cette partie du récit. Caroline les avait-elle suivis ? Oui… Ils avaient déposé la pauvre femme devant un arbre et… Un projectile l’attint en pleine tête… Caroline allait pousser un cri quand sa bouche fut baillonnée par deux mains puissantes. Thomas lui murmurait à l’oreille : « Surtout ne crie pas…. Ta vie est en danger s’ils s’aperçoivent de ta présence… Retourne dans ton lit et fait mine d’être malade, il est trop tard pour te présenter à la séance… Tu ne dois surtout pas donner l’éveil… » Caroline sentait la peur de Thomas, identique à la sienne, mais pas pour les mêmes raisons. Lui certainement par peur de perdre le degré qu’il venait d’acquérir et elle la terreur de finir comme cette malheureuse.
Le commissaire Perlicchi avait du mal à contenir sa colère. Qu’avaient-ils fait du cadavre ? Enterré sous la statue mobile du Maître près du lac aux cygnes. Cet endroit si paisible était le réceptacle de l’horreur ! Traumatisée par ce qu’elle avait vu, Caroline avait repoussé son évasion. Elle devait parfaitement la préparer car si elle échouait, elle finirait…
Jour après jour elle revoyait la scène. Thomas lui proposa de participer à la tournée de recrutement, cela lui changerait les idées…. Comment pouvait-il lui demander d’entrainer d’autres personnes dans cette galère ? Elle le pensa mais ne le lui dit pas. Il était chercheur de proie et cela l’écoeurait mais elle devait se contenir, elle ne voulait pas être séparée de son fils et surtout ne pas se retrouver dans la maison punitive !
Le commissaire devait réussir à obtenir un mandat pour fouiller les alentours du fameux lac aux cygnes mais les seuls aveux de Caroline ne suffisaient pas. Il lui fallait des preuves… Il en parlerait plus tard, il ne fallait pas effrayer la jeune femme…
10
Le chahut
Il était difficile de comprendre comment Caroline avait pu vivre si longtemps dans cette ambiance nauséabonde ! Le commissaire lui tendit un verre d’eau, elle lui dit merci tout en posant la main sur son bras. Elle avait besoin de réconfort, elle semblait si vulnérable dans son ensemble corail, telle une petite provinciale perdue dans une grande ville inconnue. Il avait le cœur serré en la voyant se débattre dans ses souvenirs.
Il devait absolument la soutenir s’il voulait qu’ensuite elle l’aide à coincer ce Supervisor de malheur ! Par contre il fallait la surveiller de près car les adeptes rodaient un peu partout dans Metz à sa recherche. Il n’osait lui en parler pour ne pas l’effrayer davantage.
Tandis qu’elle s’apprêtait à continuer sa déclaration, un groupe composé de deux agents et d’un jeune homme d’environ vingt ans débarqua dans le commissariat. Ce dernier hurlait comme un forcené, des mots totalement incompréhensibles ! Le commissaire sortit pour mettre de l’ordre laissant Caroline avec un agent.
Tout le monde criait en même temps ce qui n’était pas du goût du commissaire. Puis soudain, le calme… l’homme était devenu muet… Il ne répondait à aucune question… Pourquoi l’avait-on arrêté ? Il urinait sur le mur de l’hôtel de Police en traitant les agents de batards…. Etait-il sous l’emprise de l’alcool ? Apparemment non… A - t-il dit pourquoi il agissait ainsi ? Non… Bizarre, très bizarre… Bon après avoir noté son nom et son adresse avec ses papiers d’identité, il serait relâché, pas la peine de remplir davantage les cellules déjà encombrées. Après tout, il n’y avait pas mort d’homme.
De retour dans son bureau… Stupéfaction ! La jeune femme avait disparue ! La fenêtre était fermée et l’agent introuvable ! Seule la porte du bureau voisin était grande ouverte ainsi que celle vers l’extérieur ! Et si… Evidemment, tout le chahut était une diversion ! Merde de merde ! Quel imbécile ! Tout le commissariat fut mis sans dessus dessous pour trouver l’agent, il restait invisible !
- En route vers la secte ! Ils ne doivent pas encore être loin ! Et trouvez-moi l’incompétent !
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Arrestations intempestives
Tandis que le commissaire Perlicchi formait son équipe, la journaliste Patricia Weber était déjà au courant de la disparition. Cette femme était un vrai cauchemar, toujours à la conquête de scoops. Qui avait bien pu la renseigner aussi vite ? Il fallait vite se débarrasser de ce problème ! Ou elle partait immédiatement, ou il l’inculperait pour obstruction à une enquête ! Mais elle ne semblait pas décidée à se laisser faire…. Exaspéré, le commissaire hurla :
- Mettez-la au frais ! Pas le jour et pas le temps, Il vaut mieux ne pas m’énerver ! En route les gars, six avec moi et les autres chez l’agent courant d’air !
Pour la première fois, le commissaire avait peur. La disparition de Caroline ne lui disait rien qui vaille. Cette imbécile de journaliste lui avait fait perdre de précieuses minutes. Le château du « Prisme de la Vérité » se trouvait en pleine campagne, une seule route le reliait à la ville la plus proche. Des murs de deux mètres de haut empêchaient la vue du grand parc dont parlait Caroline. Personne aux alentours, c’était angoissant surtout si la jeune femme se retrouvait à nouveau dans l’enceinte de ce « camp de la mort ».
Glacé, il enfonça violemment le bouton de la sonnette d’entrée. Deux hommes en tuniques blanches l’accueillirent avec un grand sourire. Cette hilarité malsaine faisait bouillir le sang du commissaire. Il voulait parler au responsable de l’Etablissement et en même temps qu’il parlait il avançait dans l’allée centrale. Pas question qu’on lui claque le portail au nez !
- Le Maitre ne reçoit que sur rendez-vous…
- Donnez-lui le nom que vous voulez… Je veux le voir de suite … Je ne bougerai pas d’ici sans lui avoir parlé !
A ce moment tout un groupe d’adeptes se rapprocha des forces de l’ordre et en cercle l’entoura. Cela n’impressionna pas le moins du monde le commissaire qui dévisagea ces illuminés. Tous, le même regard étrange… Quelle misère !
Puis, les adeptes se retranchèrent derrière les arbres… Le Maître arrivait…
- Monsieur le commissaire votre intrusion n’est pas légale et je m’en plaindrai en Haut-lieu…
- Inutile de me servir votre baratin, vous avez kidnappé une jeune femme et vous détenez son fils… Alors je vous arrête… Messieurs mettez-lui les menottes… et vous maitre ou supervisor ou n’importe quoi d’ailleurs, dites à vos sbires de reculer sinon je tire dans le tas ! Et vous trois allez dans cette maudite maison punitive, Caroline doit s’y trouver…
Le maître perdit soudain son calme :
- Vous n’avez pas le droit de perquisitionner sans mandat….
- Cause toujours… Réponse sans objet, nous ne sommes pas en Amérique ! La période de la répression commence pour toi salaud !
- Je me plaindr…
- Je sais… en Haut-lieu … Je règlerai mon problème plus tard… Mettez-le dans le fourgon je ne veux plus l’entendre !
Trois agents se présentaient avec Caroline en pleurs… Son fils était gravement malade et il fallait absolument l’emmener à l’hôpital… Qu’elle l’accompagne jusqu’à l’endroit où il se trouvait… Deux « sœurs » voulurent les empêcher d’entrer, le commissaire sortit son arme… Elles reculèrent effrayées… L’enfant, aussi blanc que les draps de son lit, respirait à peine. Le commissaire ne se demanda pas de quoi il souffrait, pas besoin de sortir de la fac de médecine pour s’apercevoir qu’il ne restait guère de temps pour le sauver. Il le prit dans ses bras et malgré les protestations des « frères et sœurs » l’entourant, il sortit de l’enceinte de ce lieu diabolique.
Quelques minutes plus tard, à l’hôpital Bon-Secours le diagnostic tomba. Le petit souffrait d’une pneumonie très grave et des antibiotiques en perfusion lui furent administrés. Caroline fut autorisée à rester près de lui la nuit avec deux policiers en garde devant la porte.
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Angoisse… decrescendo…
Commença alors une longue nuit de peur, d’angoisse. Caroline veillait son fils tout en fixant la porte. Le commissaire avait beau dire qu’elle ne craignait rien, elle ne pouvait s’empêcher de trembler. Ce n’était que le prélude d’une longue affaire car le Supervisor n’allait pas en rester là. Pour l’instant le monstre était en garde à vue mais après ?
Les derniers évènements lui revenaient en mémoire. Tout s’entrechoquait dans sa tête. Elle revoyait l’agent lui dire qu’il fallait qu’elle le suive en toute discrétion car son fils était malade et la réclamait. Comment le savait-il ? Est-ce que par hasard il faisait partie du Prisme de la Vérité ? Il lui tendit un téléphone et elle entendit la voix de son fils… Elle savait que suivre cet homme la condamnait à replonger dans l’abîme mais son enfant allait mal….
Quand elle arriva devant la porte en ferronnerie d’art de la maison de la santé, elle frissonna. Deux sbires la fixaient méchamment puis la poussèrent à l’intérieur en disant : « Tu es rentrée au bercail, tu ne perds rien pour attendre… tu vas redevenir vertueuse et accepter notre règlement après ton traitement de remise à niveau… ». Elle avait l’impression que les portes se fermaient une à une derrière elle comme celles cadenassées des prisons mais racornie par les privations anciennes, elle les chassa de son esprit.
Mickael avait une forte fièvre et une grosse toux et ce n’était pas avec du tilleul que cela s’arrangerait ! C’est à ce moment que les agents débarquèrent et qu’elle put sortir de l’antre nauséabond. La commissaire était son héros, elle allait l’aider, c’était définitivement décidé. Grâce à lui, elle et son fils étaient sous protection. Il fallait cependant que son fils soit en parfaite sécurité et loin de l’Ordre avant d’agir. Ensuite, elle raconterait tout…
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Dure réalité
Mickael, le fils de Caroline, se remettait peu à peu de sa pneumonie. Il regardait autour de lui, un monde qu’il ne connaissait pas. Il fixa sa mère :
- Où suis-je ?
- A l’hôpital mon chéri….
Le regard du gamin ne reflétait pas l’émerveillement mais une angoisse indescriptible.
- où sont les frères et sœurs de la Maison de Santé ?
- Mickael, nous ne somme plus au « Prisme de la Vérité » mais ne t’inquiète pas, il ne nous arrivera rien, nous sommes protégés…
Il se mit à hurler qu’il voulait retrouver ses frères amis, que sa mère n’avait pas le droit de l’empêcher d’y retourner… Son père viendrait le chercher, il en était sûr…
Caroline savait exactement ce que son fils dirait dès qu’il serait guéri et pourtant elle se sentit mal en entendant ces paroles. De plus il prenait Thomas pour son père tout en sachant qu’il était le fils de l’Elu. Il le qualifiait ainsi car le Supervisor l’avait convoqué chez lui, dans ses appartements, avant que Mickael ne tombe malade et lui avait dit que bientôt sa vie allait s’illuminer, que sa mère avait choisi d’y renoncer et qu’il devait la chasser de son existence. Thomas, qu’avait-il dit ? Rien…Elle ne s’en étonna pas.
Le Supervisor, l’Elu ! Il ne fallait pas charrier ! Le commissaire, qui venait d’arriver, était stupéfait devant le cerveau manipulé de ce gamin d’à peine onze ans. Il fallait trouver un excellent psychanalyste pour la préservation de l’enfant. Cela n’allait pas être facile de le convaincre, une trouvaille miraculeuse serait la bienvenue ! Il risquait de s’enfuir à la moindre occasion. Quelle galère ! Il ne restait plus qu’à le mettre dans un endroit très sûr, avec du personnel trié sur le volet car ces satanés « Frères » pouvaient se trouver partout !
Caroline décida néanmoins de porter plainte contre le Maïtre et l’Ordre. Elle savait exactement où elle mettait les pieds et aussi que les prochaines semaines, voire mois, seraient très difficiles. Elle le faisait pour elle et son fils et tous les autres martyrs de cette fichue organisation !
A suivre…
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Un nouvel allié
Dans sa cellule le « Maître » hurlait qu’il voulait téléphoner à son avocat. Le commissaire, témoin de sa colère, ne s’en préoccupait pas. Cette homme emprisonnait à vie des gens de tous niveaux par endoctrinement alors il pouvait bien faire son cinéma, ce n’était que le purgatoire, pas question de le laisser s’en tirer cette fois. Toute la lumière serait faîte sur les manipulations mentales, les sévices physiques et les abus de confiance concernant les biens des adeptes. Un vrai roman fleuve noir l’existence de ce triste sire ! Caroline n’était pas encore au bout de ses peines et le commissaire non plus ! Le personnage était coriace et tout pouvait basculer sur la moindre erreur.
Voilà qu’arrivait l’avocat, Maître Steinbeck, alerté par le second de l’Ordre du Prisme de la Vérité. Son client avait des droits et ils avaient été bafoués car mis en cellule sans motif au préalable justifié. Il sortait d’où celui là ? Son client n’avait pas de nom pour le moment alors de qui était-il l’avocat ? Supervisor n’avait aucune existence légale….
« Je suis l’avocat de monsieur Dunoz de Darville alias maître de l’Ordre…. Il avait le droit de garder secret son véritable nom pour les adeptes…. »
Ce foutu gourou était de naissance noble en plus ! Le bout du tunnel n’était pas pour demain !
« De quoi est-il accusé au juste ? »
« Oh presque rien ! viol, agressions sexuelles diverses sur mineurs, manipulation et emprise mentale, vols de biens, non assistance à personnes en danger, rites dangereux et obscènes et j’en passe !
« Avez-vous des preuves ? »
Le commissaire perdait patience car tout un bastion d’adeptes envahissait l’hôtel de police. Il ordonna aussitôt que tous ces illuminés soient mis dehors. Un adolescent, ou du moins en avait-il l’air, s’était mis à l’écart. Un adepte lui prit le bras pour le forcer à le suivre mais le commissaire arrêta son geste.
« Ce jeune homme ne semble pas avoir envie de vous suivre… Alors il reste ici… »
Le regard de l’adepte lançait des éclairs ! « Frère Germain » était un peu perturbé alors il n’était pas question de l’abandonner à un système contraire à ses convictions.
Le commissaire demanda à « Frère Germain » son avis et celui-ci refusa de quitter le commissariat. Ainsi fut fait et dans un bruissement de toile l’adepte partit en marmonnant des menaces contre le commissaire.
Le jeune garçon, de dix neuf ans en réalité, avoua que son vrai nom était Mathieu Ménard et que ses parents l’avaient entraîné dans cette secte le premier dimanche automnal de ses six ans. Il ne voulait plus y retourner, c’était trop horrible !
Connaissait-il Caroline ? Celle qui s’est enfuie et revenue prendre son fils ? Oui. Il la connaissait bien, elle l’avait aidé plusieurs fois et il voulait témoigner comme elle. Comment savait-il qu’elle allait témoigner contre l’Ordre ? Tous les adeptes en parlaient et la critiquaient ouvertement, évidemment entraînés par les « second degré ».
Un allié de plus dans cette affaire était une aubaine que le commissaire n’allait pas laisser filer. Il le confia aux services de protection qui s’occupait également de Caroline, sans les mettre ensemble pour éviter que l’avocat ne mette en avant une coalition contre son « cher » client. Ce baveux n’allait pas le « baiser » si facilement !
Les pensées de Tonio Perlicchi ne cessaient de tourbillonner dans sa tête. Il allait s’en payer une belle tranche avec ce salaud ! Perquisition du sous-bois pour commencer avec déplacement de la statue du « Seigneur des lieux. Personne ne pourrait l’en empêcher selon l’article 56 et autres du Code de procédure pénale. Le sous-bois était dans le lieu d’habitation de Sir Dunoz de Darville puisqu’il clamait haut et fort que son domaine était un lieu privé !Il s’agissait d’une enquête de flagrance et relevait de la criminalité alors l’autorisation de l’occupant n’était pas nécessaire même avec une armée d’avocats. Sir de Darvile était d’origine canadienne et pensait qu’un mandat de perquisition était nécessaire…grossière erreur !
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Tous des innocents !
Le juge Yves Chéret décida d’inculper Sir de Darville après la trouvaille de choix dans le parc et sous la statue de celui-ci. Il n’y avait aucun doute : les ossements trouvés étaient humains. Donc, meurtres divers furent les chefs d’accusation.
Maître Steinbeck objecta que le maître pouvait ne pas être au courant de ces crimes…. Le devoir du commissaire était de trouver des preuves le reliant à son client…. Il allait se battre jusqu’au bout pour l’innocenter. Pourquoi ne pas brandir un étendard ! Qu’il reste sur son nuage encore un peu, cela n’allait pas durer et la chute serait terrible !
Tonio Perlicchi avait du mal à garder son calme, un vent de colère soufflait dans la pièce, ce pingouin l’énervait au plus haut point ! Il se contenait pour ne pas exploser ! Du calme se disait-il, je larguerai les amarres au tribunal… Il aspirait à un peu de sérénité car ces derniers jours furent très stressants. Bon, il fallait écrire noir sur blanc les noms des témoins : pourvu que Mathieu Ménard et Caroline Pinay tiennent le coup ! A ce propos, Pinay était-ce son nom de jeune fille ou celui de son mari de pacotille !
Tandis qu’il se posait la question, un inspecteur l’avertit qu’un certain Frère Thomas désirait lui parler. Coïncidence ? Ce serait trop beau !
A peine devant le commissaire, « Frère Thomas » s’énerva :
- Vous détenez mon épouse et mon fils illégalement, vous n’avez pas le droit de nous séparer…. De plus vous tentez de vous servir de mon frère….
Sa femme ? Son fils ? Son frère ? De qui parlait-il ? Et surtout qui était-il ? « Frère Thomas » n’était pas une identité… Il s’appelait Thomas Ménard. Ce nom fit tilt dans le cerveau du commissaire. Etait-il de la famille de Mathieu ? Caroline qu’il désignait comme sa femme ne l’était pas réellement…. Union illégale….Elle n’avait pas besoin de divorcer pour être libre… Et son fils ? Il ne l’était pas vraiment non plus…. Thomas tapa du poing sur la table… Résultat ? En cellule ! Ce drôle d’oiseau n’allait pas s’envoler de sitôt avec les aveux en cascade de Caroline !
Une clameur étrange au loin, pas vraiment un chuchotement mais un brouhaha indescriptible. Que se passait-il encore à l’accueil ? S’il voulait s’évader un peu de l’histoire de la fraternité du « Prisme de la vérité », c’était râpé ! Un groupe de tuniques blanches envahissait à nouveau l’hôtel de Police.
16
Remue-ménage
Mardi indiquait l’éphéméride, journée qui s’annonçait problématique car si l’hirondelle ne faisait pas le printemps, les drôles d’oiseaux en tuniques blanches annonçaient eux, une rude saison. Un vent de panique soufflait sur l’hôtel de police, pas vraiment la morne plaine ! Les impétueux agents tentaient de faire régner le calme mais les adeptes du « Prisme de la Vérité » brandissaient des pancartes « Rendez la liberté à notre Maître bien aimé ! »
Tonio Perlicchi, si fort d’habitude, commençait vraiment à sortir de ses gongs, il avait un mal fou à se contrôler. Comble de tout, voilà qu’arrivait Caroline, très élégante, dans un ensemble marine et capeline assortie. Elle avait particulièrement soigné sa tenue ce qui indiquait peut-être qu’elle se sentait mieux dans sa peau. Pas facile pour elle de circuler au milieu des autres en baissant la tête ! Le commissaire n’avait pas eu le temps de la prévenir du charivari à l’hôtel de police ! Les adeptes ne semblaient pas la reconnaître, il était vrai que le chapeau masquait un peu son visage et c’était tant mieux ! C’était certain, il fallait vite la subtiliser des regards et l’installer dans son bureau. Conspiration des évènements en ce jour de m… ! Quelques mesures de sécurité s’imposaient.
Finalement les hurlements cessèrent car les tuniques blanches furent poussées vers la sortie par les agents de plus en plus irrités. Ces dingues vivaient en pleine utopie dans un monde anormal mais bien réel pour eux. Comment pouvaient-ils croire à ce renouveau immatériel qui les rendrait heureux ? Aucun ne pensait par lui-même mais au travers d’une doctrine abêtissante. Les vieux clichés de la réincarnation étaient remis au goût du jour mais d’une autre façon.
Dans la cellule le « maître » protestait, quant à Thomas, il avait la couleur citron de l’ictère comme si la bile lui montait au visage ! Il venait de s’apercevoir que la belle inconnue était Caroline. La voir si belle et inaccessible lui remuait les entrailles. Il hurla « Dès que l’avocat nous sortira de ce bourbier, tu te retrouveras dans les catacombes, car un jour ou l’autre nous t’aurons ! Tu connais bien ce lieu ! La belle vie ne va pas durer !»
Tonio Perlicchi fixa la jeune femme, elle était à la limite de l’évanouissement, toute son assurance avait disparue. Le commissaire comprit aussitôt le danger et ferma la porte en demandant à ne pas être dérangé.. Ce lieu existait-il car lors de la perquisition personne n’avait rien remarqué ? Elle hocha tristement la tête…Oui ce lieu satanique était une réalité. Voulait-elle en parler ? Oui…
Caroline respira un bon coup et commença : Les catacombes étaient sous la maison des punitions. Une trappe, dont le grincement faisait frissonner de peur, donnait sur un souterrain uniquement éclairé par des chandelles. L’ombre des corps longeant le long couloir devenait effrayante. Caroline se souvenait de son unique séjour dans ce sinistre endroit. Elle avait tenté de se rebeller quand tomba l’interdiction de parler à son fils pendant son instruction qui durerait six mois. Comme elle se battait griffes et ongles pour récupérer Mickael, elle fut d’abord envoyée dans la maison des punitions et mise en quarantaine. Restriction la plus souple de l’Ordre. Comme cela ne la calmait pas, elle se retrouva dans les catacombes. Le but était de la rendre vulnérable par la peur de ce qui pouvait se passer dans l’ombre de ces arcades. L’amour pour son fils étant la plus forte, ils décidèrent de la mâter par la force.
« Ils » ? Les adeptes du cinquième degré. Thomas tenta d’intercéder en sa faveur mais en vain. Pourquoi soudain s’inquiétait-il pour elle ? Elle ne s’en préoccupa guère… Après une boisson étrange et un comprimé qu’ils lui enfoncèrent de force dans la gorge, elle perdit pied. Tous ses membres ankylosés ne répondaient plus aux ordres de son cerveau. Des images défilaient sur un écran faisant le tour de la pièce circulaire et des paroles s’en suivaient mais elle ne s’en souvenait plus. C’était un lavage de cerveau en règle ! Ajoutée à cela une diète imposée pendant plusieurs jours, toute volonté la quittait. Elle sortit de cet endroit, brisée physiquement et moralement. Une seule chose l’avait sauvée de l’abrutissement total, à partir du second jour : l’autosuggestion. Elle se répétait sans cesse « Je suis forte, mon cerveau résiste aux mensonges, la vérité est ailleurs… » Si bien qu’elle n’enregistrait pas tout ce qu’elle entendait… Ce fut très dur mais sa volonté fut la plus forte. Ensuite elle fit semblant d’être différente et commença à préparer sa fuite. Cependant les séquelles étaient là, elle eut des nausées très longtemps.
Reconnaitrait-elle les responsables de sa détention dans les catacombes ? Oh oui ! Un élément de plus dans le dossier se dit le commissaire…
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Déposition de Mathieu
Mathieu Ménard, dans un état déplorable mentalement, avait du mal à décrire ce qu’il avait subi dans la communauté du »Prisme de la vérité », alors Tonio Perlicchi tenta de le mettre à l’aise en lui affirmant qu’il serait protégé et que son frère Thomas ne pourrait l’atteindre, Caroline avait porté sur lui de graves accusations. Le pauvre môme était terrorisé, son frère et les autres le retrouveraient toujours… Le « maître » était le diable incarné et avait beaucoup de relations et dans tous les domaines. Le commissaire sentait la fragilité du témoignage de Mathieu, il pouvait craquer à tout moment et se raviser. La présence de Caroline pouvait, par contre, être bénéfique.
Mis face à face, leurs regards reflétaient la même tristesse mais la jeune femme était décidée et volontaire. Voir Thomas et l’entendre la menacer l’avait décontenancée mais elle était plus décidée que jamais à lever le voile sur les secrets de ce Supervisor et ses compères qui méritaient d’être châtrés pour leurs ignominies. Elle avait vraiment envie de les voir enfin punis. Elle s’était donné une mission à accomplir coûte que coûte. Mathieu
. Un matin il fut convoqué dans un lieu, à l’orée du sous-bois, une petite bâtisse : « l’Eglise », une pièce en rotonde toute capitonnée de blanc, insonorisée, et devait attendre la venue du « Maître ». Ce dernier arriva avec sept personnes dont le visage était caché par une cagoule. Mathieu fut prié de se mettre au centre de la pièce. L’un des personnages masqué lui murmura : « Surtout fais ce que te dis le « maître », sinon tu te retrouveras dans la maison des punitions… »
Le commissaire était surpris… Pourquoi cette personne, un homme apparemment selon la voix, avait-il donné ce conseil ? Mathieu ne savait pas, il n’avait pas reconnu la voix car il était effrayé. Le Supervisor prit la parole :
- Aujourd’hui est un grand jour pour toi : la date anniversaire de tes douze ans. Tu deviens officiellement un élu et de ce fait tu vas faire serment de fidélité à l’Ordre en ton nouveau nom : « Frère Germain ». Au douzième coup de midi, après le rituel, ta renaissance sera officielle.
Il devait ensuite enlever sa tunique bleue et s’allonger à plat ventre sur le sol, les bras en croix. Il s’était senti très mal nu dans cette position, exposé aux regards de tous. Il tremblait mais n’osait bouger.
Mathieu soudain se tut, honteux il avait du mal à continuer. Le commissaire lui apporta une boisson et lui proposa une pause. Caroline savait mais jamais n’avait eu les détails. Elle pressentait le pire…. Elle posa la main sur l’épaule de Mathieu pour lui donner du courage. Finalement Mathieu avoua le viol dont il fut l’objet. Après le « Maître », il fut offert à six adeptes représentant le degré de deux à sept. Le degré un pouvait assister mais non participer.
Mathieu signa sa déposition non sans être affolé de devoir répéter au tribunal tout ce qu’il venait d’avouer. Aurait-il la force d’aller jusqu’au bout ? Caroline lui dit qu’à deux se serait plus facile même si très douloureux à se remémorer.
Tonio Perlicchi donna des ordres pour que les deux déclarants soit raccompagnés sous escorte policière. Avant de monter dans la voiture banalisée dans la cour de l’hôtel de police, deux coups de feu éclatèrent…..
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